Hommage à Marcel Freydefont membre fondateur de l’UDS

Esprit vif et parole généreuse, le scénographe, enseignant et chercheur Marcel Freydefont surgit comme une vibration forte au milieu du paysage du spectacle vivant. Un mât solide auquel se sont accrochés des artistes et des personnalités de tous les horizons comme Ariane Mnouchkine, François Delarozière, Aurélien Bory… Marcel Freydefont est mort le 1 juillet des suites d’une longue maladie, à Nantes ; Il avait 68 ans.

De la plus haute fenêtre de ma maison
Avec un mouchoir blanc je dis adieu
A mes vers qui partent vers l’humanité.
Et je ne suis ni joyeux ni triste.
Tel est le destin des vers.
Je les ai écrits et je dois les montrer à tous
Parce que je n’en puis user différemment,
Tout comme la fleur ne peut dissimuler sa couleur,
ni le fleuve dissimuler qu’il coule,
ni l’arbre dissimuler qu’il fructifie.
Les voilà qui déjà s’éloignent
Et moi malgré moi j’éprouve de la peine

[…]

Allez-vous en, de moi détachez-vous !
L’arbre passe et se disperse dans la Nature.
La fleur fane et sa poussière dure à jamais.
Le fleuve coule puis il se jette dans la mer et ses eaux restent ses eaux à lui.
Je passe et je demeure, comme l’Univers[1].

 

Marcel Freydefont s’en est allé un après-midi du mois de juillet. On ne saurait lui rendre hommage sans évoquer l’énergie puissante de la vie portée par la création artistique. C’est à cela que renvoie ce poème de Pessoa.

Marcel a déjoué de longues années la maladie, au point, disait-il parfois, d’en rire comme s’il avait l’impression de lui jouer un tour. Et de fait il redoublait d’activité. Le meilleur hommage à lui rendre, c’est de rendre compte des aspects les plus importants à ses yeux de cette activité.

C’est pourquoi je commencerai par quelques-uns des projets qu’il a initiés et qui sont toujours en cours : avec l’UDS (Union des scénographes), l’ENSATT (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) et le Théâtre de l’Odéon, le projet « De la maquette au plateau » appelé à se déployer en 2017. Avec le CNCS (Centre National du Costume de Scène et de la Scénographie), le développement du département scénographie. Avec l’Université de Louvain-la-Neuve, la publication d’un numéro de la revue Etudes Théâtrales situé dans le prolongement des riches journées de réflexion « Place du théâtre, forme de la ville » dont certains aspects ont déjà donné lieu à la publication d’un numéro de Théâtre/Public en janvier 2015.

Son intérêt (le mot est faible) pour la scénographie témoigne de sa volonté de rendre visible ce qu’il y a de moins visible, l’espace qui, au théâtre comme dans les situations de notre quotidien, s’efface la plupart du temps devant ceux qui l’habitent. S’efface, mais néanmoins est là… Le rendre visible donc pour rendre compte de ses effets sensibles. Accrocher ainsi des mots à l’espace. Faire en sorte que ces mots touchent juste. Démarche improbable. Nécessaire toutefois au surgissement du sens et à l’enracinement du sensible au travers de la pratique théâtrale.

Cette démarche, il l’a portée sur tous les fronts. En créant une formation spécifique au sein d’une école d’architecture et en lui assurant une large reconnaissance. En enseignant la scénographie dans des institutions prestigieuses, l’ENSAD (Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) ou encore l’Université de Louvain la Neuve. En travaillant à l’assise professionnelle du métier de scénographe à travers l’UDS dont il a été la cheville ouvrière et en avançant avec elle la revendication d’un droit d’auteur pour les scénographes. En portant haut et fort la question de la scénographie sur le devant de la recherche en études théâtrales à travers des publications multiples et des projets divers, publications et projets qu’il nous a souvent été donnés de conduire ou d’écrire à quatre mains.

Loin d’être fermée sur elle-même, cette démarche n’a cessé d’être ouverte sur l’espace public. D’abord parce que la scène est toujours liée à une salle et donc que l’aire de jeu ouvre sur une aire d’écoute et de regard. Mais aussi parce que les formes scéniques ont partie liée avec la forme urbaine : urbanité est d’ailleurs un mot qu’il affectionnait particulièrement. Mais encore parce que la scénographie embraye nécessairement sur les évolutions technologiques, non seulement pour les utiliser mais aussi pour en dégager les potentialités sensibles. Placer le sensible au cœur du débat public. Voilà ce qui le préoccupait, en dépassant les fausses oppositions de la raison et de l’émotion, du texte et de la représentation, du théâtre et des arts plastiques.

D’où son implication au service des Arts de la rue dont il a accompagné de façon active le développement et les mutations, contribuant à les faire connaître et reconnaître, cherchant constamment à montrer de quels enjeux décisifs ils sont porteurs dans la cité contemporaine parce qu’ils donnent du jeu à l’espace urbain. Et aussi parce qu’ils le qualifient, le font entrer dans une dimension poétique et ludique, l’appellent ainsi à respirer. Comme le font, par exemple, les machines de l’île à Nantes, objets gigantesques et ludiques imaginés par François Delarozière qui, à ses yeux, portaient témoignage de la faculté de l’art, non seulement à s’inscrire dans un projet urbain, mais plus encore à lui donner du souffle.

D’où aussi sa constante préoccupation des questions d’urbanisme. La ville contemporaine est en profonde et violente évolution. Se préoccuper d’urbanisme, c’est refuser de se résigner à ce que cette évolution s’emballe, travailler à ce que, bon an mal an, une mise en ordre de la forme urbaine demeure possible. Entre urbanisme et scénographie, on pourrait croire qu’il y a un gouffre. Il savait montrer que penser leurs rapports est essentiel au déploiement du sens et du sensible dans le registre urbain.

Pour clore cet hommage, il me semble indispensable de revenir vers Clermont-Ferrand, vers son équipe de rugby plus précisément. Comme nombre d’hommes de théâtre, Marcel Freydefont aimait le « bon sport » et il ne voulait manquer aucun match de son équipe.

Cette relation, il la revendiquait tranquillement, comme une façon de s’inscrire avec plaisir et sans esprit de sérieux dans l’espace public. Autrement dit, c’était un homme d’engagement au sens le plus profond du mot, donc aussi au sens politique. Car, au total, c’est bien cette préoccupation qui l’animait profondément : garder l’espace public ouvert et vif malgré tout ce qui en menace la vitalité aujourd’hui, l’infléchir aussi.

Luc Boucris, hommage publié dans les Nouvelles écritures dramatiques européennes » Le n° 223 de janvier 2017  »

[1] Texte XLVIII du recueil Le Gardeur de troupeaux, traduction Armand Guibert, p. 101, Poésie/Gallimard, 1987.

 

Un militant de l’enseignement

 

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